Aline Jaillet nous parle de sororité | Podcast Clouer le bec au patriarcat – partie 2
Bienvenue dans la deuxième partie de mon podcast avec Aline Jalliet, autrice de “Une voix à soi”. Ce qui devait être un seul épisode s’est transformé en deux, tant notre échange était riche et intense. Dans cette suite, nous abordons la sororité, la manière dont les femmes peuvent se soutenir et comment certaines, influencées par le patriarcat, oublient l’importance de la lutte féministe pour l’égalité. La sororité, ça se travaille et nous n’avons pas du tout été habituées à cela, bien au contraire. J’espère de tout cœur que cet épisode sèmera en vous les graines de la sororité. Cet article ne représente qu’une infime partie de notre rencontre avec Aline. Pour écouter l’épisode dans son intégralité, rendez-vous sur mon compte Instagram @clouerlebecaupatriarcat où vous trouverez tous les liens utiles en bio !
Pourquoi la sororité est-elle devenue indispensable pour les femmes ?
Revenons sur le dernier sujet abordé lors du premier épisode : nous avons terminé en discutant de la voix des femmes à travers l’Histoire. Nous avons évoqué combien les voix des femmes n’ont jamais été pleinement entendues ou reconnues, la société ayant appris à les ignorer… Aline nous encourage donc à réaffirmer notre voix, à utiliser cette réaffirmation comme un moyen de se reconnecter à notre histoire et à notre identité. Elle insiste également sur la nécessité d’une prise de conscience collective et c’est pour ça que la sororité est si importante : parce que nous ne pouvons pas sortir de tout ça individuellement !
Aline souligne l’importance fondamentale de la sororité dans le cheminement féministe. Pour elle, elle n’aurait pas pu avancer sur ce chemin difficile, coûteux et douloureux sans être accompagnée, sans sentir les mains d’autres femmes serrées dans les siennes. Dans les moments où nous perdons patience, courage ou espoir, il est essentiel de pouvoir compter les unes sur les autres. Pour Aline, la sororité est le socle puissant et indispensable du féminisme.
C’est vrai, quand on s’engage dans un combat ou une cause, on fait face à tellement d’adversité : stéréotypes, préjugés, jugements et parfois même des violences. Si on ne s’appuie pas sur les autres, si on ne se nourrit pas de cette sororité dont parle Aline, il devient difficile de tenir !
Je pense qu’à un moment, si on ne trouve pas ce soutien, on finit par craquer. Ce n’est pas naturel pour nous, les femmes, qui avons souvent intériorisé qu’il fallait se débrouiller seules. Pourtant, apprendre à s’appuyer les unes sur les autres est un apprentissage que chacune de nous doit faire à un moment de son parcours.
Qu’est-ce que la sororité ?
Aline Jalliet nous offre une définition très personnelle et profonde de la sororité. Elle explique qu’elle l’a découverte en initiant l’écriture de son livre. Au début, Aline a frappé à la porte de nombreuses femmes qu’elle n’aurait jamais osé interpeller, mais elle s’est dit : “Au pire, j’ai déjà un non, tout ce que je risque, c’est un oui.” C’est ainsi que son livre s’est construit ; à travers des échanges enrichissants avec chaque femme qu’elle rencontrait. Ces femmes lui ont non seulement permis d’avancer dans son projet, mais elles lui ont aussi transmis une confiance en elle, en elles et dans la sororité.
Pour Aline, la sororité va bien au-delà de la fraternité. Ce n’est pas une simple utopie ou une philosophie abstraite, mais c’est un choix, un positionnement politique et un apprentissage continu. La sororité, pour elle, c’est avant tout un engagement féministe. Elle y voit une confiance mutuelle, une volonté de construire ensemble un avenir meilleur que ce qu’on pourrait accomplir seules.
Elle souligne : “Je ne peux pas être féministe toute seule. Je suis féministe avec elles, avec toutes et chacune.” Même si elle ne partage pas toujours les idées de certaines femmes, elles restent importantes dans son horizon et son action pour un monde où les femmes comptent.
Prise de conscience, réalité du patriarcat, colère et tristesse !
En lisant le livre d’Aline, ce qui m’a frappée, c’est la manière dont elle aborde les sujets de façon très incarnée. Elle évoque les critiques que certaines féministes reçoivent pour leur ton parfois vindicatif, mais elle souligne que cette colère a une origine bien plus profonde.
Aline se souvient de ses premières lectures, notamment Le Silence des femmes et Le pouvoir de la colère des femmes d’Hélène Vecchiali, qui ont été des révélateurs pour elle. À travers ces ouvrages, elle a pris conscience des inégalités et de la réalité du patriarcat, un concept qu’elle n’avait pas vraiment incarné jusqu’alors. Cette révélation l’a plongée dans une colère intense, qu’elle a dû apprendre à exprimer et à argumenter. Elle parle de sa colère avec une élégance particulière, ajoutant que cela l’a aidée à résonner avec d’autres femmes partageant les mêmes sentiments.
Aline raconte qu’elle a vécu cette colère pendant un an, un état émotionnel qui l’a conduit à une profonde tristesse à mesure qu’elle explorait son identité de femme. En écrivant sur les sorcières, elle a ressenti la douleur des femmes qui ont été marginalisées, ce qui a intensifié son expérience de la sororité. À travers son livre, elle a voulu que son parcours soit ancré dans sa réalité personnelle, en tissant des liens entre son histoire, celle des femmes qu’elle interviewe et les réflexions d’autrices qu’elle admire.
Elle évoque aussi son cheminement en tant que chanteuse lyrique, où elle a longtemps refoulé sa colère, découvrant plus tard la nécessité de s’exprimer librement et de crier ! Pour Aline, ce livre est une invitation à reconnaître et à dialoguer sur la réalité d’être femme et à comprendre ce que cela signifie vraiment dans notre société.
La sororité : un amour inconditionnel des femmes !
Dans le livre d’Aline Jalliet, ce qui ressort est l’absence totale d’injonction. En effet, elle adopte une approche empreinte de bienveillance et de tendresse à l’égard des femmes. Ce choix est profondément lié à son parcours personnel, ayant travaillé sur elle-même pour se libérer de toute haine envers les femmes et de l’intériorisation de la misogynie.
Aline explique que les femmes, souvent inconscientes de la violence qu’elles ont intériorisée en raison du patriarcat, peuvent parfois être dures envers elles-mêmes et envers les autres femmes. Mais selon elle, cette violence ne leur appartient pas : elle est le résultat des violences subies dans une société patriarcale. Lorsqu’une femme se montre violente, elle ne tue pas, elle ne viole pas. Elle exprime une douleur héritée des oppressions. Cette distinction est indispensable pour Aline, car elle veut détourner le regard accusateur des femmes pour le diriger vers les véritables sources de cette violence.
Elle souligne l’importance de ne pas ajouter d’injonctions aux femmes, surtout lorsqu’on cherche à les aider ou à les accompagner dans leur cheminement féministe. Ce qui compte pour Aline, c’est d’offrir un espace de bienveillance, d’empathie et d’amour inconditionnel. C’est là qu’elle situe la sororité : un amour inconditionnel des femmes, dans toutes leurs facettes. Son écriture, elle le dit, est une manière de dire aux femmes « je vous aime ».
Elle veut que les femmes puissent se sentir acceptées et valorisées, sans culpabilité, sans jugement, même lorsqu’elles réagissent à leurs oppressions par des comportements ou des paroles qui pourraient être vus comme violents. Le patriarcat est responsable de cette violence et Aline refuse de perpétuer une transmission de cette violence entre femmes. Elle cherche plutôt à briser ce cercle vicieux et à ouvrir un espace où chaque femme se sent aimée et respectée.
Déconstruire la rivalité féminine
Après avoir évoqué la violence entre femmes, j’ai voulu aborder avec Aline un sujet qui me tient à cœur : la rivalité féminine. Personnellement, je ne me retrouve pas dans cette dynamique, je ne la ressens pas, mais je sais qu’elle existe et qu’elle est alimentée par les normes patriarcales. C’était donc important pour moi de recueillir l’avis d’Aline sur ce sujet…
Aline partage l’idée que cette rivalité est avant tout le produit du patriarcat et des injonctions hétéronormées qui nous façonnent, notamment à travers des mécanismes comme le “syndrome de la Queen Bee”¹. Ce syndrome illustre cette compétition entre femmes, encouragée dès notre plus jeune âge, pour plaire aux hommes ou se conformer à des normes qui valorisent la jeunesse ou la séduction. Pour elle, cette rivalité est apprise, non naturelle, et disparaît lorsque l’on s’affranchit des injonctions hétérosexuelles.
Ce qui touche Aline, c’est que derrière cette rivalité se cache souvent une grande souffrance, un manque de reconnaissance de la valeur intrinsèque des femmes par elles-mêmes. Elle évoque la compassion qu’elle ressent pour ces femmes qui ne sont pas encore arrivées à un état d’acceptation et de sororité. Cela ne l’énerve plus, mais la rend triste, car elle voit en ces femmes une projection des blessures patriarcales. Elle ne nourrit aucune colère envers elles, car elle sait que chacune avance à son propre rythme. Lorsqu’elle est confrontée à de la violence ou de l’agressivité venant de femmes, Aline choisit de ne pas répondre, notamment sur les réseaux sociaux, estimant que c’est leur manière, à ce moment précis, de survivre dans un système où elles trouvent encore leur valeur à travers le regard des hommes.
Pour elle, il est essentiel de ne pas devenir l’ennemie de ces femmes, mais au contraire de leur montrer de la compassion et de l’empathie, en espérant qu’avec le temps, elles parviennent à comprendre qu’elles ont tout à gagner à être solidaires avec d’autres femmes plutôt qu’à les voir comme des rivales.
Petite aparté : en écoutant Aline, je réalise à quel point ses mots résonnent avec une intensité palpable. Chaque phrase, chaque sentiment qu’elle partage est chargé d’une énergie qui me touche profondément. Aline parle de sororité avec une telle incarnation que l’on ressent une connexion au-delà des mots. Je vous encourage vraiment à écouter le podcast pour ressentir cette puissance émotionnelle dans sa voix ❤️.
Comment donner de la place à sa voix ?
Dans cette partie de l’interview, j’ai abordé avec Aline le cheminement vers la prise de conscience de sa voix… « Qu’est-ce que je peux faire pour donner de la place à ma voix ? » Cela commence par une prise de conscience de l’existence même de notre voix, une voix qui peut devenir notre compagne.
Aline souligne que cette alliance avec sa voix ne se construit pas du jour au lendemain ; c’est un compagnonnage qui demande du temps et de la patience. Elle nous invite à commencer par des gestes simples, comme poser notre main sur notre poitrine pour écouter la vibration de notre propre voix. C’est un premier pas vers une autonomie, vers la reconnaissance d’une voix qui nous appartient et qui mérite d’être entendue.
Elle partage également un moment personnel où elle a « perdu » sa voix, ce qui lui a permis de réaliser que celle-ci avait besoin de repos. Ce dialogue avec sa voix souligne l’importance de l’écoute et de l’accueil de soi.
En intégrant ce cheminement à notre propre expérience, Aline nous rappelle que construire une relation bienveillante avec notre voix est fondamental pour établir des liens authentiques avec les autres femmes. Cela nourrit la sororité, car en accueillant notre voix et en l’acceptant comme un partenaire libre, nous pouvons également créer un espace d’amour et de soutien entre nous.
Finalement… Comment clouer le bec au patriarcat ?
Pour Aline, la clé pour clouer le bec au patriarcat réside dans la sororité, mais pas sous la forme d’une simple amitié entre femmes. Elle insiste sur le fait que la sororité doit être vue comme un positionnement politique et une action concrète. Cette sororité est essentielle pour permettre aux femmes, en tant que peuple opprimé et multi-traumatisé, de se libérer et de guérir ensemble des siècles de violence et d’oppression. Elle ajoute que la douceur est un outil précieux dans ce processus, car elle ouvre la porte vers le cœur des autres femmes, facilitant ainsi la réparation et le soutien mutuel nécessaires pour contrer le patriarcat.
Nous avons ainsi terminé l’enregistrement du podcast et j’espère que de nombreuses réflexions ont émergé en vous ! Je suis à votre disposition pour accueillir vos remarques, questions et réflexions sur cet épisode, sur votre voix et sur tout ce que cela a pu susciter en vous. N’hésitez pas à suivre Aline Jalliet sur les réseaux sociaux. Je vous encourage aussi vivement à vous rendre en librairie pour découvrir son livre « Une voix à soi ». Pour en savoir plus, c’est dans la première partie du podcast. Enfin, bien évidemment, abonnez-vous au compte @clouerlebecaupatriarcat pour suivre toute mon actualité autour du féminisme 😉 !
¹ Le syndrome de la “Queen Bee” (ou “syndrome de la reine des abeilles”) désigne une femme en position de pouvoir qui se montre compétitive ou hostile envers d’autres femmes, souvent pour protéger son statut, au lieu de les soutenir. Ce comportement est lié aux pressions patriarcales qui encouragent la rivalité entre femmes.