Rencontre avec Aline Jalliet, autrice du livre “Une voix à soi”
Rencontre avec Aline Jalliet, autrice du livre “Une voix à soi”
C’est non sans émotion que je vous partage le premier épisode de mon podcast “Clouer le bec au patriarcat”. Ce podcast est la prolongation de mon livre éponyme, lui-même issu de 14 années d’accompagnement de femmes victimes de violences familiales, conjugales, systémiques, institutionnelles, judiciaires, sexuelles, psychologiques, financières, physiques et d’autres formes de violence. Clouer le bec au patriarcat, le livre, est né parce que la meilleure façon que j’ai trouvée pour mieux vivre mon sentiment d’impuissance est d’écrire. Clouer le bec au patriarcat, le podcast, est né parce que j’ai eu besoin de rencontrer d’autres personnes, d’autres femmes, de cultiver la sororité et de me connecter à d’autres. Pour le premier épisode, j’ai reçu Aline Jalliet, autrice du livre “Une voix à soi”. Ce fut un réel bonheur de la rencontrer, j’ai même scindé l’épisode en deux parties tant le sujet est riche ! Dans cette première partie, nous avons parlé de la voix des femmes, de comment elle n’est pas entendue, de la manière dont elle est stéréotypée… Je vous laisse découvrir quelques bribes de notre conversation. Pour écouter l’épisode dans son intégralité, rendez-vous sur mon compte Instagram @clouerlebecaupatriarcat où vous trouverez tous les liens utiles en bio !
Qui est Aline Jalliet ?
Aline Jalliet est aujourd’hui coach de la voix, formatrice et consultante certifiée Tomatis®. Initialement formée en littérature, elle a mené des études jusqu’à une thèse en lettres, avec l’intention de devenir enseignante en littérature du XVIIIe siècle. Cependant, sa passion pour la musique, qu’elle pratiquait en parallèle (piano, violoncelle, flûte traversière et chant) a pris de plus en plus de place dans sa vie. Avant la trentaine, elle a fait le choix décisif de se consacrer pleinement au chant lyrique, devenant chanteuse professionnelle, puis prof de chant, coach de la voix et formatrice. La littérature ne l’a toutefois pas abandonnée, puisqu’elle est aussi devenue autrice. Depuis 2017, elle a publié trois livres dont le dernier “Une voix à soi” qui est un essai sur la voix des femmes.
Puisque se présenter soi-même est un exercice difficile, j’ai demandé à 4 personnes qui connaissent bien Aline de me parler d’elle… Voici quelques phrases qu’elles ont employées pour la décrire :
“Aline nous apprend la construction de la voix des femmes par le patriarcat et comment on a voulu nous faire croire pendant très longtemps que notre parole ne comptait pas ou qu’on parlait pour ne rien dire.”
Chloé Thibaud (autrice de Désirer la violence)
“Sa voix me saisit par la façon dont elle résonne, prenant l’espace sans pour autant envahir celui des autres. C’est une présence extraordinaire.”
Typhaine D (comédienne, dramaturge, metteuse en scène et professeure de théâtre)
“Aline est un cocktail pétillant d’énergie, de joie, d’intensité, d’intelligence, de sensibilité et de profondeur, le tout servi avec humilité et humour. Elle possède une capacité unique à écouter chaque être dans sa dimension la plus subtile, puis, avec délicatesse ou fermeté selon ce qui est le plus approprié, à les aider à y accéder, à l’incarner pleinement et à en rayonner toute la beauté.”
Issâ Padovani (auteur du livre Au Coeur du Vivant)
“Pour clouer le bec au patriarcat plutôt que de laisser le patriarcat nous clouer le bec, Aline propose un autre chemin. Elle nous aide à aimer nos voix, ainsi que celles des autres, et à parler avec justesse. Et ça, c’est révolutionnaire.”
Hélène Devinck (autrice du livre Impunité dans lequel elle est la porte-parole de nombreuses femmes victimes du journaliste Patrick Poivre d’Arvor).
D’ailleurs, Aline Jalliet est profondément admirative d’Hélène Devinck pour son courage et sa solidarité envers les femmes. Hélène a vécu 17 ans dans le silence avant de parler de ce que PPDA lui a fait subir, non pas pour elle-même, mais pour servir la cause des autres femmes. Ce geste de sororité, Aline le trouve particulièrement admirable. Hélène Devinck a utilisé sa visibilité médiatique et la portée de son livre pour faire entendre la voix de celles qui n’étaient pas écoutées. Chaque femme qui ose dénoncer, même si cela ne mène pas toujours à des résultats, donne de la reconnaissance à toutes les autres. C’est cette force, ce pouvoir vibrant de la parole qui touche profondément Aline. Hélène Devinck a ouvert un espace pour que d’autres femmes puissent se faire entendre et pour Aline, cela est non seulement puissant, mais aussi essentiel. C’est Hélène Devinck qui a écrit la préface du livre “Une voix à soi” et c’est justement de ce livre dont nous allons parler…
Pourquoi n’entend-on pas la voix des femmes ? : l’essai-manifeste de Aline Jalliet
“Une voix à soi” est le titre du dernier livre de Aline Jalliet. Il s’agit d’un essai-manifeste qui propose un angle inédit sur la place de la voix des femmes dans notre société : les femmes doivent-elles changer leur voix ou est-ce notre manière d’écouter la voix des femmes qui doit évoluer ? Ce livre nous invite à réfléchir à la dimension politique de cette problématique : peut-on y apporter une réponse biologique, historique, sociétale, psychologique, émotionnelle ou tout cela à la fois ?
Aline a choisi ce sujet pour son livre parce que la majorité des femmes qui viennent la voir lui disent toujours la même chose : elles ne se sentent pas entendues. Elles lui confient qu’on leur coupe souvent la parole, que leurs idées semblent invisibles et finissent par être reprises par d’autres sans jamais leur être attribuées. Beaucoup d’entre elles disent avoir une “petite voix”, manquer de confiance et préférer se taire plutôt que de s’exprimer. Face à cela, Aline s’est posé une question fondamentale : est-ce que les femmes doivent réellement travailler leur voix pour être entendues ou bien est-ce notre société qui a un problème avec la voix des femmes ?
C’est cette interrogation qui a lancé l’écriture de son livre. Au fil de ses réflexions et de ses lectures, elle a pris conscience de la manière dont l’idéologie patriarcale se manifeste profondément à travers nos voix ! Aline pense que les femmes ont désappris à s’entendre et à s’écouter elles-mêmes, car elles ont tellement intériorisé les injonctions à ce que leur voix soit “féminine” : douce, mélodieuse, calme et surtout pas trop intense ou vindicative. Elles sont jugées non pas sur ce qu’elles disent, mais sur la façon dont elles le disent. Une voix féminine doit être “agréable”, ce qui est rarement exigé des hommes. Dès qu’une femme exprime quelque chose de fort ou d’engageant, sa voix est rapidement disqualifiée, la qualifiant d’agressive ou même hystérique. Cela crée une pression immense chez les femmes, qui en viennent à douter de leur voix, à la juger et à se censurer avant même de prendre la parole.
Le sexisme dans le traitement technique du son
Aline m’a donné deux exemples qui montrent comment le sexisme s’infiltre jusque dans le traitement technique du son. Le premier exemple se passe aux États-Unis dans les années 1920, lorsque les radios indépendantes ont commencé à proliférer. Il fallait alors restreindre la bande passante et elle a été limitée à 3 000 Hertz. Cette fréquence convenait bien aux voix des hommes, mais pas à celles des femmes dont les harmoniques sont plus élevés. Plutôt que de reconnaître un problème technique, on a simplement déduit que les voix féminines passaient mal à la radio. Pour compenser, on augmentait le volume des voix féminines, ce qui les rendait encore plus criardes et désagréables, renforçant ainsi le stéréotype que la voix des femmes “passe mal”. Ce biais technique a même perduré jusqu’à récemment avec une règle dans les radios qui interdisait de diffuser deux voix féminines consécutives, car elles étaient perçues comme moins agréables.
Le second exemple concerne l’Assemblée nationale où les micros sont calibrés pour des voix d’hommes, puisque la majorité des parlementaires sont des hommes… Les voix féminines, étant plus aiguës, passent mal dans ces micros, elles apparaissent criardes et moins audibles. Sandrine Rousseau, par exemple, a témoigné qu’elle ne s’entendait plus lorsqu’elle prenait la parole à cause du brouhaha qui se déclenchait dès qu’elle était appelée à parler. Cela la poussait à élever le ton, ce qui amplifiait la critique sur sa voix. Elle a même dû mettre des bouchons d’oreilles pour s’entendre !
En réalité, nous ne parlons pas ici d’un problème technique, mais d’une manifestation des stéréotypes auditifs et des habitudes institutionnelles qui favorisent les voix d’hommes. Il y a des personnes, souvent des hommes, qui se permettent des réactions violentes à l’encontre des femmes uniquement par rapport à leur voix, pas par rapport à ce qu’elles disent ou par rapport à ce qu’elles comptent dire.
La voix est un endroit privilégié de manifestation et d’expression de l’idéologie patriarcale
Aline m’a fait comprendre que la voix est un lieu privilégié où l’idéologie patriarcale se manifeste, parce que c’est justement dans les endroits auxquels on prête le moins attention que l’idéologie s’exprime le plus. La voix semble être quelque chose de naturel, de biologique, mais quand on gratte un peu, on se rend compte que nos voix sont construites pour correspondre aux attentes que la société a d’une femme ou d’un homme. C’est ce qui fait de la voix un endroit privilégié pour l’expression de l’idéologie patriarcale et c’est aussi pour cette raison que la voix devient un terrain propice à la déconstruction des stéréotypes. C’est exactement ce qu’Aline a voulu explorer dans son livre. Elle y a d’ailleurs passé quatre ans, prenant le temps nécessaire pour déconstruire toutes les structures patriarcales qui traversent nos voix, souvent à notre insu, et qui révèlent profondément ce qui est ancré en nous.
Se situer pour mieux raconter
Très vite, dès le début de son livre, Aline commence par préciser d’où elle parle et si vous me suivez depuis un petit temps, vous savez à quel point cette notion est importante pour moi. Elle explique que dans son livre, il y a des éléments qui parleront à certaines femmes, mais pas à d’autres, car elle reconnaît les limites de son propre point de vue en tant que femme blanche cisgenre vivant dans une société démocratique. Elle a donc voulu commencer par se situer, en précisant d’où elle parle et d’où elle ne parle pas. Elle n’a pas la prétention de parler au nom de toutes les femmes, notamment les lesbiennes, les queers, les trans ou les femmes racisées. Lorsqu’elle aborde ces sujets, elle le fait à partir de témoignages, et non en imposant un discours dominant ou “surplombant”.
Elle critique justement cette tendance à faire taire certaines voix au profit d’autres et propose que l’écoute des voix des femmes soit plus inclusive. Pour Aline, se situer est une manière d’introduire de l’horizontalité, d’éviter de prendre une position de domination et de reconnaître que certaines expériences lui échappent. Son objectif est d’offrir une porte d’entrée à toutes les femmes pour qu’elles se réapproprient leur voix, la considèrent comme un sujet politique, et continuent de cheminer ensemble dans cette réflexion.
La féminisation de la langue française : un enjeu important pour la visibilité des femmes dans la société !
Dans son livre, Aline souligne également que l’invisibilité des femmes dans la langue française est un problème profond, exacerbé par des institutions comme l’Académie française qui, depuis le 17e siècle, ont rejeté la féminisation des métiers et des titres. Cette décision a contribué à maintenir un patriarcat linguistique en imposant une norme masculine dominante. Selon elle, défendre la langue française telle qu’elle est aujourd’hui, c’est soutenir cette invisibilisation des femmes.
Aline critique l’accent mis sur l’écriture inclusive, souvent perçue à travers le prisme du point médian, et plaide pour une approche qui intègre le féminin de manière auditive. Pour elle, la langue doit non seulement être vue, mais aussi et surtout entendue comme inclusive. Elle évoque l’importance de la féminisation des termes, comme “autrice” au lieu de “auteur”, pour permettre aux femmes de se sentir représentées et visibles dans le langage.
Elle explique que la féminisation de la langue a un impact direct sur l’image des femmes dans la société. Plus la langue sera féminisée, plus la présence des femmes dans la société sera reconnue. Aline partage son expérience personnelle et professionnelle pour montrer que réintégrer le féminin dans le langage n’est pas seulement une question de forme, mais aussi de fond, ayant des répercussions sur la façon dont les femmes se perçoivent et sont perçues.
La voix des femmes à travers l’histoire
Lors de notre interview, Aline m’a aussi parlé de l’invisibilité “historique” des voix féminines. Elle souligne que l’histoire a souvent rendu invisible la voix des femmes, mais pourtant elle existe bel et bien. En écrivant, Aline a découvert que sa vision initiale de l’histoire, où les femmes semblent jouer un rôle marginal, est en réalité une simplification. Les femmes ont toujours été présentes et actives dans l’histoire, notamment dans l’espace public, mais leurs contributions ont souvent été effacées. Des historiennes comme Éliane Viennot et Michelle Perrot ou des journalistes comme Titiou Lecoq montrent que cette invisibilisation est le résultat d’une manipulation de l’Histoire qui a occulté leur rôle. Par exemple, pendant la Révolution française, les femmes ont été extraordinairement présentes dans la rue, dans les manifestations et dans les mouvements populaires, malgré leur absence dans les récits historiques.
Aline évoque également des exemples contemporains pour illustrer l’importance de la voix des femmes dans les luttes sociales : aux États-Unis, les mères de victimes de violences par armes à feu se battent pour la sécurité et la justice ; en Iran et en Afghanistan, les femmes affrontent des régimes répressifs et se battent pour leurs droits fondamentaux en faisant entendre leur voix dans des contextes extrêmement dangereux.
Elle souligne que, malgré cette présence constante, la voix des femmes n’a jamais été pleinement entendue ou reconnue. La société a appris à ignorer les voix féminines. Aline affirme même que cette dissociation auditive est un phénomène systémique : lorsque les femmes expriment des idées qui défient les normes, leur voix est souvent rendue inaudible !
Aline propose que, pour retrouver et valoriser cette voix historique, il faut reconnaître l’importance des récits des femmes et de leurs voix. Elle encourage les femmes à réaffirmer leur voix et à utiliser cette réaffirmation comme un moyen de se reconnecter avec leur histoire et leur identité. Elle plaide pour une prise de conscience collective que les voix des femmes sont essentielles pour comprendre pleinement l’Histoire et pour faire avancer l’égalité des genres.
J’espère que cette première partie vous a donné envie de faire plus de place à votre voix et surtout vous a aidé à prendre conscience de son importance. Je vous souhaite du fond du cœur de lire le livre d’Aline Jalliet “Une voix à soi”, de vous faire le cadeau d’un stage avec elle ou d’un accompagnement individuel pour donner vie à votre voix. Je vous invite maintenant à rejoindre la deuxième partie de l’épisode. Eh oui… Nous avons en cours de route décidé de prolonger notre conversation et de vous parler de sororité 😉 !
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